samedi 25 avril 2015

Les tableaux de la mémoire

Dans la maison de mon enfance, deux tableaux principalement me sont restés en mémoire en vertu d'une fascination que j'attribuerais à celle qu'on a pour ses parents parfois, dont les goûts, en l'absence de toute référence culturelle nous échappent en bas âge et confine à l'émerveillement.






Un "Bonaparte au pont d'Arcole", belle reproduction faite par mon oncle d'une œuvre d'Antoine-Jean Gros, trônait fièrement face à la porte d'entrée. Connaissant le maître des lieux qu'était mon père, ce choix d'emplacement était tout à fait volontaire et donnait la note aux éventuels visiteurs. Ici on avait remporté des batailles de chiffres, mené des hommes, conquis des territoires dans des costumes tirés à quatre épingles.

Ce qui impressionnait dans ce tableau ma sensibilité enfantine, c'était le contraste entre le visage jeune et les cheveux rebelles d'une part et l'habit d’apparat de celui qui deviendra Napoléon 1er d'autre part. Le personnage plein de lumière, au regard intense se détache tout aussi bien de la bataille qui fait rage à l'arrière plan, ne laissant apercevoir qu'un écran de fumée.





Pour la petite histoire, le tableau est visible au musée du Louvre et a été peint la même année que ladite bataille en 1796. Napoléon de son prénom a alors 27 ans. Il vient d'épouser Joséphine et a ainsi obtenu le titre de général en chef de l'armée d'Italie. Sa campagne révolutionnaire contre les royalistes étrangers est encore étudiée dans les Écoles de guerre. Lors de cette bataille au pont d'Arcole en Italie, particulièrement, il bat les armées royalistes autrichiennes grâce à un subterfuge adroit: pour détourner l'attention de l'ennemi, Napoléon ordonna aux tambours d'aller discrètement sur les arrières des autrichiens faire du boucan afin de leur faire croire que des renforts ennemis sont arrivés. Ainsi le général autrichien, leurré, dépêcha une partie de l'effectif de sa solide défense à l'arrière, ce qui permit à l'armée d'Italie d'emporter la bataille.




Un Fragonard, acheté 1O francs par ma mère, nommé "Les Hasards heureux de l'escarpolette", soupirait sur le mur du côté de son lit.
Dans ce décor de jardin agrémenté d'angelots, la femme me faisait penser à une rose qui déployait ses pétales pour le plaisir d'un homme la désirant à l'agonie.
L'érotisme raffiné de ce jeu intemporel a survécu ainsi aux années. A part que les nains ont remplacés les angelots et les voiles font désormais concurrence à l'opacité des jupons pour le grand plaisir des messieurs, nullement obligés de faire des contorsions pour entrapercevoir la nudité féminine.










Cette scène galante a été peinte par Jean Honoré Fragonard entre 1767 et 1769 ( dans la mention de cette dernière date, tiens donc! On retrouve la date de naissance de Napoléon!) La toile a été commandée par le baron de Saint-Jullien, receveur général des finances du clergé qui donna à Fragonard les recommandations suivantes: "Je désirerais que vous peignissiez Madame sur une escarpolette qu'un évêque mettrait en branle. Vous me placerez de façon, moi, que je sois à portée de voir les jambes de cette belle enfant et mieux même, si vous voulez égayez votre tableau."

La frivolité de cette scène n'est pas sans évoquer Marivaux, décédé quelques années auparavant, qui a donné son nom au substantif "marivaudage", désignant la légèreté de ton dans les propos qui parlent d'amour.
On peut aussi supposer que le clergé à l'époque était non seulement riche, mais complice d'un certain libertinage.